Voici ce que j'ai appris en regardant un dvd intitulé Sauve qui peut... les poulets, à propos de l'industrialisation de l'élevage de poulets. Oui, le texte est long, mais sa lecture prend énormément moins de temps que de regarder le dvd.

Le reportage donne tout de suite le ton en présentant des images un peu affreuses de corps de poulets qui défilent sur des crochets et sont tranchés lorsqu'ils passent devant une lame. Avec 160 000 tonnes de poulet consommé chaque jour, le poulet est devenu une marchandise pour des entreprises agro-alimentaires mondiales.

Tout d'abord admirons une usine thaïlandaise. Le numéro 1 mondial du poulet est thailandais, il se nomme CP. Un commercial forcément objectif nous fait visiter l'usine (en omettant le côté obscur bien entendu). Une publicité de ce groupe dit que le poulet est plein de protéines, qu'il est peu gras [je dirais que ça dépend s'il est de bonne qualité], et il a bon goût [moi je trouve le poulet insipide, à part les vrais poulets fermiers]. Nous voyons de gigantesques poulaillers, 11 poulets au mètre carré, 16 000 par poulailler, 250 poulaillers, soit au total 4 millions de bêtes.

Grâce à une débauche de capteurs, partout et pour tout mesurer, la présence d'un seul humain suffit pour élever 100 000 poulets. La nourriture des poulets est exclusivement importée (maïs et soja).

Chaque jour 700 000 unités sortent de l'usine à poulets, débités par des humains. La chaîne de production regroupe une armée de gens en tenue bleue, seuls les yeux dépassent, les chefs ont un habit de couleur différente et un porte-voix. 20 000 personnes travaillent ici. Témoignage d'un employé recueilli à la cantine (sous les yeux du commercial, discours forcément sincère donc...) : « J'aime beaucoup ce travail, les chefs sont très gentils ».

Thaïlande et grippe aviaire. La Thaïlande est l'un des pays foyers de la grippe aviaire [comme par hasard]. Pour lutter contre cela, les animaux dans des poulaillers à l'air libre ont été abattus. Notre numéro un mondial n'a pas été inquiété, ses poulets sont soi-disant isolés du monde extérieur (nous verrons plus tard que cela est faux). Peut-être son influence au sein du gouvernement thailandais, et le fait qu'il aie même ses propres conseillers auprès du premier ministre y est pour quelque chose dans cette tranquillité...

Monsieur le commercial nous dit qu'il y a des analyses en continu sur ses poulets, « aucune raison de s'inquiéter », affirme-t-il. La preuve : les clients ne sont pas partis, et il y a même des nouveaux clients à cause de la grippe aviaire [on pourrait presque croire qu'ils ont cherché à arrêter les petits et moyens élevages afin d'augmenter la part de marché des gigantesques].

Revenons en Europe. Le poulet thaïlandais se vend très peu, en effet le poulet cru importé est surtaxé en Europe, cependant de plus en plus de poulet cru est importé du Brésil. Les plats cuisinés à base de poulet proviennent de l'étranger.

L'Europe exporte son trop-plein de poulet cru vers l'Afrique, sous forme de poulets congelés. Au Cameroun une étude a montré que 83% des poulets congelés sont impropres à la consommation. Avant l'interdiction des farines animales, ces poulets étaient transformés en farine animale. Ces poulets étant moins chers que les poulets produits localement, ils détruisent le marché local : dans les années 80, le Cameroun s'auto-suffisait alimentairement à 90%, aujourd'hui c'est seulement 59%.

Retour en Thaïlande, du côté des petits éleveurs cette fois. Le gouvernement prépare une loi sanitaire imposant l'enfermement des volailles, un producteur dit que ses poulets vivent dans les arbres, en liberté, ils se nourrissent des insectes du potager, et donc il n'a pas besoin d'insecticides. Les petits éleveurs n'auront pas assez d'argent pour mettre en place le système d'enfermement. La guerre du poulet est emblématique, c'est l'interdiction de produire sa propre nourriture qui est en jeu.

Sur un marché nous assistons à la comparaison d'un poulet CP et d'un poulet d'un petit élevage artisanal : le poulet CP ressemble à une boule de gras, l'autre ... à un poulet. 45 jours d'élevage pour le premier, contre plus d'un an pour le second. Le premier est plus gras et moins cher.

Les petits producteurs, variable d'ajustement des usines à poulet. Notre commercial CP reprend la parole : les petits éleveurs n'ont plus d'avenir, à cause de la grippe aviaire, ils ne peuvent pas contrôler, ils vont devoir changer de métier. Il rappelle que les 700 000 poulets abattus chaque jour chez CP proviennent exclusivement de l'usine à poulet, mais c'est mathématiquement impossible... Ces fermes ne peuvent produire qu'un quart de ce chiffre. La compagnie aurait-elle des contrats de sous-traitance ? « Avant nous avions quelques élevages, mais c'est terminé maintenant » (on note quelques coups d'oeil gênés entre les interlocuteurs de chez CP avant de répondre à la question). Et pourtant, on rencontre une femme thaïlandaise, faisant partie de la catégorie des petits éleveurs : elle a tout investi elle-même, elle a une grosse dette, CP lui fournit les poussins, la nourriture, les médicaments, les visites vétérinaires. Son contrat lui interdit de travailler pour quelqu'un d'autre, mais sans lui garantir des commandes régulières. L'an dernier elle n'a pu faire fonctionner qu'un seul poulailler sur les 3 qu'elle possède, en fonction de la loi du marché. Ce sont les petits producteurs qui servent de variable d'ajustement au chicken business. CP aurait en arrière-boutique 10 000 éleveurs, ce qui transforme en mensonge ce que disait notre gentil commercial, qu'il n'y avait aucun risque de grippe aviaire dans son usine, car aucun contact avec l'extérieur...

Un éleveur en France. Il nous dit que la situation est la même en France, il a élevé des poulets pendant une dizaine d'années pour un industriel français, il servait lui aussi de variable d'ajustement. Il s'est depuis reconverti dans un élevage de moutons indépendant.

Que de raisons d'être optimiste sur l'avenir du monde...